Suisse : le nationaliste Christophe Blocher (UDC) écarté du Conseil Fédéral, son parti passe dans l'opposition

(publié également sur le blog de prochoix)

Les élections législatives suisses qui se déroulaient le 22 octobre dernier ont vu la large victoire de l'UDC, le parti de la droite nationale suisse : en fort progrès à 29,0% (le plus fort score d'un parti suisse aux législatives depuis 1919, contre 26,6% en 2003) suite à une campagne axée contre les musulmans et les étrangers, elle a mis le Parti Socialiste, son principal rival, à près de 10 points (19,5%, contre 23,3% en 2003).

Forte de son succès et de son poids encore grandissant dans la nouvelle assemblée (désormais 62 sièges au Conseil national, contre 43 aux socialistes), l'UDC se voyait déjà imposer ses vues quelques semaines plus tard, lors des votes du parlement pour le Conseil fédéral (le gouvernement fédéral), où 2 de ses membres sont représentés (il y a au total 7 conseillers fédéraux).Le premier conseiller fédéral UDC, Samuel Schmid, est membre depuis 40 ans de ce qui n'était à l'époque qu'un parti agrarien de centre-droit. Avec la prise de pouvoir des populistes au sein du parti dans les années 90, Schmid s'est retrouvé parmi les modérés, minoritaires. Mais quand il s'agira de désigner un nouveau conseiller fédéral UDC en 2000, c'est lui que le parlement suisse choisira, plutôt que les candidats officiels du parti. Le second, Christoph Blocher, fut justement le principal artisan de la radicalisation nationaliste et populiste du mouvement (contre l'Union Européenne, les homosexuels, les étrangers, les musulmans, etc.), d'abord dans son canton de Zürich puis, suite à ses succès locaux, au niveau national.
Quelques jours après la victoire, Ueli Maurer, le président du parti, proposait le départ de 3 des 7 conseillers fédéraux en place, dont Schmid, officiellement au nom du renouvellement, mais surtout parce que le départ de Schmid aurait pu permettre d'élire un UDC plus "blochérien" à sa place. Mais tous les ministres en place ont voulu continuer leur mission. Tant pis pour Maurer.
C'est le mercredi 12 décembre qu'avait lieu l'élection des membres du Conseil Fédéral par le Parlement. A priori, la séance devait se dérouler tranquillement, et voir la réélection des conseillers actuels.
Mais la gauche rêvait de se débarrasser de Blocher, ce nationaliste dont les succès répétés donnent une si mauvaise image de la Suisse à l'étranger. La majorité des démocrates-chrétiens (centristes) s'opposait également au renouvellement du mandat du zurichois. Après négociations entre les partis, il était décidé de soutenir, contre Blocher, la candidature d'Eveline Widmer-Schlumpf, une modérée de l'UDC (comme Schmid), peu connue, qui avait été contactée et n'avait pas dit non ; puis il a encore fallu convaincre le reste des démocrates-chrétiens et quelques radicaux (droite libérale) qui, s'ils ne considèrent pas Blocher comme un danger fasciste, ne supportent plus qu'il ait gardé ses méthodes partisanes et provocatrices dans son rôle de ministre.
Pourquoi présenter Widmer-Schlumpf, qui était relativement peu connue, et pas un candidat d'un autre parti plus au centre ? Parce qu'il s'agissait de chasser Blocher, pas l'UDC (qu'il fallait ménager en apparence pour mieux y semer la zizanie). En réalité, c'était le Vert Luc Recordon que la gauche rêvait de faire élire à la place du leader populiste, mais elle s'est vite rendu compte que celui-ci n'aurait aucune chance d'obtenir la majorité. Même avec l'appui des centristes, il aurait manqué quelques voix venues de la droite libérale, qui n'auraient pas accepté que le centre de gravité de politique se déporte vers la gauche à cette occasion. En réalité, un seul profil pouvait pour réunir une majorité contre Blocher : il fallait un candidat UDC, bien de droite, mais fréquentable (pas blochérien), pour contenter tout le monde. Et surtout prêt à trahir la principale figure de son propre parti. C'était le cas de Widmer-Schlumpf, et il n'y avait pas l'embarras du choix.
Peu avant le vote, les Verts annoncent qu'ils retirent la candidature de Luc Recordon. Ceux qui ne font pas partie de la combine s'interrogent. Ils comprendront très vite ce qui se joue : au premier tour, Widmer-Schlumpf (non candidate) devance Blocher (seul candidat déclaré), mais n'obtient pas la majorité absolue à cause des votes blancs ou nuls ; cela sera cependant fait dès le second tour. Dès lors, tout le monde s'interroge : va-t-elle accepter son élection, confirmer sa "trahison" ? Difficile alors de le savoir : elle n'est pas sur place (n'étant pas une élue fédérale) mais dans son canton. Elle veut réfléchir avant de rendre sa décision. On lui fait alors comprendre qu'on présentera un démocrate-chrétien contre Blocher (et que son parti risque donc de perdre un Conseiller fédéral) si jamais elle refuse. Cela joue.
Le lendemain (jeudi 13 décembre), le délai de réflexion qu'elle avait demandé étant écoulé, Eveline Widmer-Schlumpf se rend à l'Assemblée pour annoncer qu'elle accepte son élection.
Les blochériens à la tête de l'UDC n'apprécient guère l'éviction de leur leader, et encore moins que Schmid et Widmer-Schlumpf cautionnent celle-ci en ne démissionnant pas. Caspar Baader, le chef du groupe UDC, vient rapidement annoncer que son parti retire son soutien à ses deux conseillers fédéraux, ce qui ne leur facilitera pas la tâche (surtout pour la nouvelle venue Widmer-Schlumpf).
L'UDC, dont Blocher devrait reprendre la présidence, se situe désormais dans l'opposition parlementaire. Une décision venue d'en haut qui est loin de faire l'unanimité.
Quelles seront les conséquences réelles pour le parti ? Ses adversaires rêvent que la zizanie actuelle conduise à une scission, mais cette hypothèse retombera aussi vite l'émotion suscitée par ce mini-séisme politique : chaque tendance de l'UDC a trop besoin du poids électoral de l'autre pour prendre ce risque.
Tout cela est-il vraiment néfaste pour l'UDC ? Est-ce un bon calcul à long terme que de "relâcher" un populiste si doué que Blocher ? L'opposition n'est-elle pas plutôt une aubaine pour les populistes, leur permettant de taper sur leurs adversaires bien plus librement ? C'est ce que semble croire l'un d'eux, Oskar Freysinger. «En restant au gouvernement, nous n'aurions pas pu réitérer le score de 29% obtenu aux élections fédérales d'octobre. Hors du gouvernement, nous dépasserons les 30% en 2011». Optimisme de façade ou anticipation ?
L'éviction de Blocher est en tout cas le premier gros revers de l'UDC, qui ne cessait de progresser et de conquérir les lieux de pouvoir depuis 15 ans en agitant la peur de l'étranger.

Commentaires

  1. En tant que suissesse fière de l'être mais pas blochérienne, je peux te dire que l'éviction de Blocher est un vrai soulagement ! Sa remplaçante est, certes, UDC mais elle a moins de pouvoir (parce qu'elle est nouvelle et moins connue) et est plus centriste que son prédécesseur !

    Bon vent Blocher !

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